Pour danser la valse, il faut avoir le dos bien droit, le regard vers l’avant et les bras ouverts. S’ensuivent alors des enchainements concertés de pas : l’un avançant du pied gauche, l’autre du pied droit. Le parallèle est instructif à bien des égards sur le défi qui guette les partis politiques français depuis la recomposition de l’Assemblée Nationale. Le paysage politique s’en est trouvé divisé en trois blocs, forçant la culture politique à s’adapter. Ce premier acte fondateur sera suivi d’un second, le 4 décembre au soir, lorsqu’une motion de censure adoptée par 331 voix à l’Assemblée Nationale provoquera la chute du Gouvernement Barnier, un événement inédit depuis 1962. Le présage d’un hiver politique rude ? Cette fissure en deux temps finira d’assoir une crise politique entamée. Toutefois, ces transformations sont aussi le lieu d’opportunités pour les responsables politiques, priés de faire œuvre commune après le résultat des législatives. Mais au temps des petites phrases et de la mise en scène du conflit politique, comment penser une culture du compromis ? Les partis doivent-ils faire la démonstration d’une capacité d’ouverture à l’approche du vote Budget ? La vie politique sera-t-elle en mesure de renouveler ses méthodes pour apprendre à danser sur trois pas ? Auquel cas, de la crise politique à la crise de régime, que reste-t-il ? Que la situation politique nous dit-elle de l’époque et du modèle démocratique français ? Pendant que les observateurs observent, les agitateurs s’agitent. Pour mieux cerner les intentions de chacun dans ce clair-obscur, retour en détail sur les différentes stratégies envisagées par les responsables politiques des trois blocs pour penser la sortie de crise et résoudre le blocage institutionnel.
“La tectonique des plaques désormais mouvante, la vie politique française est-elle condamnée à patienter en attendant l’éruption?“
Mélenchon, “la tête du Roi” ou rien…
Le temps d’un été
La séquence politique qui s’est ouverte au soir du 7 juillet aura au moins offerte son lot de clarifications sur l’échiquier politique. Au centre de l’attention médiatique durant l’été, Raphaël Glucksmann, leader d’un jour à gauche, comptait ouvrir la brèche d’un après-Mélenchon au lendemain de son avance électorale européenne (13,38%). Mais au petit jeu de la course de chevaux, le doyen insoumis, ancien sénateur socialiste et triple candidat à l’élection présidentielle, a du ressort. Raphaël Glucksmann confiait au journal Le Monde : “Ce que j’ai vu (après l’annonce de la dissolution), c’est que les appareils politiques ont repris les choses en mains en moins de dix minutes“. Lui appelait à négocier “au-delà du NFP (Nouveau Front Populaire)”, c’est-à-dire avec le camp présidentiel, quand le consensus émergeant des composantes à gauche défendait un retour au programme commun. Une brèche originelle qui ne se refermera pas.
D’autant que « face au désordre », la France Insoumise réclame « la démission » du Président élu. La stratégie du parti, qui dresse comme cap de voir tomber le chef de l’État au printemps, tient en deux mots : « Macron, Destitution ». Un slogan que Jean-Luc Mélenchon a pris soin d’épingler sur la bannière de son compte Twitter, comme un ordre de mission. “L’hyper président, responsable du malheur” qui frappe le paysage politique, particulièrement depuis “la décision jupitérienne” d’une dissolution « précipitée contre l’avis de son camp », ne peut plus échapper au « pilori politique » d’après Manuel Bompard, coordinateur du mouvement insoumis. Et pour tenter de l’y clouer, les porte-paroles du parti ont infusé le débat public, étrillant le bilan présidentiel et les projets de lois jugés anti-sociaux menés depuis 2017, pour mieux argumenter “la nécessité d’une démission du chef de l’État“. Une réthorique qui perce dans l’opinion publique française, une assurant pour la France Insoumise qui cherche à imprimer sa stratégie de fond durant cette séquence politique inespérée.

Entre LFI et PS, « le même pattern, mais pas le même tempo »
Bien que décrite comme influente au sein du NFP, la France Insoumise n’est pas un leader d’opinion sur tous les sujets à gauche, comme en témoignent les retranscriptions des échanges inter-groupes sur l’abrogation de la réforme des retraites ou les négociations du Budget. D’autant que le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, Olivier Faure, s’est inscrit en faux face au choix insoumis d’appeler au départ d’Emmanuel Macron. Et pour cause. La « vieille maison rose », jadis aux manettes, « ne peut raisonnablement participer » à un scénario politique aussi instable et contraire au “sens des institutions“. Ainsi, le PS restera fidèle à la tradition gouvernementale de la 5ème République, réaffirmant le caractère exceptionnel des mesures de coercition politiques telles que la destitution, initialement intégrées à la Constitution par Michel Debré et le Général de Gaulle. Cela, Mélenchon aussi l’a parfaitement compris en poursuivant une stratégie qu’il espère payante, poussant les socialistes à l’exposition et les autres partis à la réflexion quant au départ du chef de l’État comme issue potentielle à la crise. Le débat existe désormais dans la sphère publique, « une première victoire » commente Manuel Bompard.
D’autant que les choses se gâtent côté socialiste, menacé par les querelles internes en vue du Congrès de l’été. Ce match s’ajoute à la tâche première que s’est fixée Olivier Faure de refonder la structure idéologique du parti, en tissant un matériau politique neuf et indépendant d’LFI. Pour l’heure, les impulsions politiques s’imposent dans le débat public à gauche sont insoumises. Plusieurs prises de parole de leur chef de file ont d’ailleurs fait l’objet de vives réactions au sein du NFP, provoquant des dissensions publiques sur la guerre à Gaza ou la participation du PS aux discussions gouvernementales. Alors entre les deux formations, lorsqu’une occasion se présente de désavouer une position clivante prise par l’un, l’autre fait entendre sa voix pour mieux s’en démarquer. L’alliance qui avait uni les deux meilleurs ennemis autour d’un programme commun n’a jamais été autre que de circonstance. L’épreuve du temps confirmera-t-elle l’incompatibilité de ce « duo impossible », au risque d’anéantir toute perspective commune en vue de la présidentielle ? Si la rupture était consommée à gauche, les oppositions s’en trouveraient libérées, hâtées à l’idée de refermer la page d’une gauche unifiée.
Une présidentielle anticipée, remède à la crise ?
La configuration telle qu’apparue au soir du 7 juillet a ainsi eu pour conséquence d’unir sans rallier les différentes composantes du NFP, toujours mues par des désaccords profonds. Toute prise d’initiative individuelle étant désormais soumise à l’approbation du groupe et à une mise en conformité avec le programme commun bâti il y’a six mois. Le magnétisme exercé par les négociateurs LFI au moment des discussions de l’été obligent aujourd’hui le Parti Socialiste à acquiescer le séquençage imposé par les insoumis, qui fixent pour eux le cap d’une présidentielle anticipée. Mais en faisant émerger l’idée de la démission sans préalablement consulter ses partenaires, Jean-Luc Mélenchon force la décision à gauche et presse ses partenaires de clarifier leur position. Pour les socialistes, tant que le leader insoumis battra la mesure, confortablement assis sur le siège des 22% des voix obtenues à la dernière présidentielle, le rapport de force restera inchangé. Pour s’extirper de cet espace limité, le parti à la rose devra être réhabilité par une majorité d’électeurs de gauche.
Dans sa ligne de nage, le dirigeant insoumis parie sur la tête du roi… ou rien. Depuis le 4 décembre et la censure du gouvernement Barnier, les porte-paroles de son mouvement ont en effet détaillé un plan de sortie de crise “par le haut“, projetant des élections présidentielles anticipées pour « enfin (…) clarifier la situation politique ». Puisque « la stabilité du pays passe par la démission du Président Macron, il faut préparer l’échéance” expliquait le député des Bouches-du-Rhône Manuel Bompard sur le plateau de Face à BFM en décembre dernier. Depuis la volonté affichée des socialistes de “dialoguer avec le parti présidentiel en vue d’un accord de non-censure“, proposition jugée « chimérique » par LFI, l’élan incarné par le Front Populaire 2.0 en juillet dernier s‘étiole. Car quand l’un pense à gouverner, l’autre pense à présider. Et si les négociateurs du bloc de gauche tiennent pour l’heure à stabiliser la configuration actuelle, celle d’un groupe uni autour d’un programme partagé, les aspirations individuelles et les luttes internes poussent les différentes composantes à penser leur avenir hors du cadre commun.
C’est pourquoi le parti insoumis n’envisage pas de poursuivre ad finem une collaboration ouverte avec le « trublion » socialiste d’après plusieurs députés. En témoignent les formulaires de parrainage envoyés par la France Insoumise aux maires de France en vue de l’organisation d’une présidentielle anticipée, tous porteurs d’un logo FI et pour l’heure muets d’indices quand au nom du candidat pressenti pour le poste. Sur les documents consultés, aucune mention faite des autres partenaires du NFP. Bompard de préciser alors dans les médias : « Jean Luc Mélenchon est à ce jour le mieux placé pour incarner le programme du Nouveau Front Populaire ». Une déclaration qui n’a pas manqué de clarté dans l’oreille d’un certain Olivier Faure.
Marine Le Pen, la force
d’une ombre
Désormais légitimée par les 11 millions d’électeurs qui ont porté le RN en tête des élections législatives, la Présidente de groupe à l’Assemblée compte peser dans la détermination des politiques publiques menées dans le pays avant l’échéance de 2027.
Le coup de force permanent
Planant au-dessus du tumulte politique depuis la recomposition de l’Assemblée Nationale, l’ombre du parti nationaliste agit comme une menace sur le tableau des forces politiques, inquiètes de la capacité de nuisance de Marine le Pen. Redoutable d’influence sur le débat public, la triple candidate à l’élection présidentielle est écoutée par tous avec attention. A cela, il faut désormais ajouter la “force de frappe législative et médiatique” constituée par les 121 députés RN à l’Assemblée. Un levier d’action puissant tenu au cordeau par les capitaines de route historiques de la cheffe du parti, Sébastien Chenu, nouvellement élu vice-président de l’Assemblée Nationale, et Jean-Philippe Tanguy, tête pensante du Budget pour le RN.
Ainsi, la question du meilleur a coup à jouer dans cette séquence politique se pose différemment pour Marine le Pen que pour les principales figures des partis de gauche, étant donné l’absence de luttes internes au sein de son parti… à moins qu’un jeune militant de Seine Saint-Denis ne parvienne en cinq ans à gravir tous les échelons, devenant à 27 ans le leader naturel du premier parti de France. Le scénario serait fâcheux pour celle qui convoite la présidence depuis 2012. Au vu du contexte, pourquoi Marine le Pen se risquerait-elle à rejoindre le bal quand elle peut le dominer depuis le haut de l’estrade ? La dirigeante d’extrême-droite a enfin le pouvoir de faire exaucer ses voeux et d’imposer sa voix. Au sujet du pouvoir, Thucydide avait écrit il y’a plus de deux mile ans : « Nous en profitons, bien convaincus que vous, comme les autres, si vous aviez notre puissance, vous ne vous comporteriez pas autrement. ». Cette capacité d’influence nouvellement acquise par Marine Le Pen, désormais « faiseuse de rois », lui assure une liberté chérie que jamais son parti, et son père avant elle, n’avait obtenue.
Pourtant, ce résultat n’est pas idoine. Il est aussi le fruit d’une normalisation des relations présidentielles avec le RN et d’un processus planifié de longue date par la candidate nationaliste, qui opérait dès mars 2018 la mue de son parti en effaçant la dénomination historique du Front National. Depuis, un nouvel arc de la vie politique française s’en est ouvert.
Ainsi, la position acquise par la cheffe de file au lendemain des législatives anticipées la place au sommet d’une Tour d’Ivoire depuis laquelle elle observe la scène politique, sans prendre de coups. « Un graal » commente Jean-Philippe Tanguy. Pas certain donc qu’elle n’en redescende d’elle même. Ce momentum se concrétise par une côte de popularité inédite de la candidate déclarée, faisant d’elle la personnalité politique préférée des français. Aucune autre personnalité politique, si ce n’est Jordan Bardella, ne figure dans ce top 50 du dernier baromètre Ifop pour le JDD.
Dans cette configuration à trois blocs, le RN devient « l’acteur inévitable », le pivot incontournable à toute négociation. Toutes les initiatives gouvernementales passent désormais au tamis des lignes rouges lepénistes avant d’être envisagées. En témoigne l’influence de l’ancienne présidente du RN dans les affaires publiques récentes : d’abord consultée au téléphone par Emmanuel Macron en novembre dernier au sujet de la nomination du futur Premier Ministre, puis par le concerné lui-même, Michel Barnier, désireux de « bâtir rapidement des compromis » dès le jour de son arrivée. Une opération censée permettre le vote du Budget et empêcher celui d’une censure. Une tentative qui se soldera par un échec.
La “stratégie du profil bas” suspendue à l’avenir politique de Marine Le Pen
Visible « comme un éléphant au milieu de la pièce », pour reprendre les mots d’un cadre du RN, la stratégie de Marine Le Pen consistait jusqu’alors à émettre le moins de son possible, pratiquant la politique en-dessous des radars. Quand certains responsables et Ministres ne souhaitent pas afficher de relations publiques avec elle ? Elle dîne avec eux la nuit tombée, à l’instar d’Édouard Philippe, ancien Premier ministre ou de Sébastien Lecornu, actuel Ministre des Armées. Ses prises de parole publiques se raréfient ? Une certaine volonté de susciter le désir. La séquence qui a suivi la dissolution a toutefois obligé l’ancienne présidente du Rassemblement National à trancher. Votera-t-elle la censure, ou “n’oserait-elle pas“, comme l’eurent pensé les équipes de Michel Barnier jusqu’à la dernière minute, convaincus que “l’esprit de responsabilité” l’emporterait sur “la tentation du dégagisme“. La cheffe de file n’a finalement su se résoudre à la clémence face à un gouvernement jugé « trop tiède » en matière d’immigration et de sécurité, précipitant la chute du gouvernement Barnier, le plus éphémère de la 5ème République.
Mais au soir du 31 mars 2025, la carrière politique de la candidate annoncée pourrait bien connaitre un coup d’arrêt. Marine Le Pen aura en effet les yeux rivés sur les lèvres des juges français, qui doivent rendre leur verdict dans le procès des assistants parlementaires européens pour lequel elle comparaît. La présidente du groupe RN à l’Assemblée Nationale risque en effet une peine d’inéligibilité de 5 ans pour avoir participé à un système d’emplois fictifs qui aurait permis le détournement de plus de 7 millions d’euros d’argent public au profit de son parti. Cette décision, qui pourrait être rendue avec exécution provisoire, c’est-à-dire applicable dès le prononcé du jugement, ne l’empêcherait pas de continuer à exercer son mandat de député. Toutefois, elle pourrait être privée de se présenter aux élections présidentielles de 2027. Et si la dirigeante d’extrême-droite pourra toujours faire appel de cette condamnation, il pourrait ne pas lui être garantit d’être à nouveau jugée avant l’échéance du premier tour. Auquel cas, Marine le Pen aurait alors tout intérêt à accélérer l’agenda politique en s’alignant sur la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, pour pousser à la démission du président. Si elle décidait de débarquer tous les candidats pressentis à Matignon par un jeu de censure permanente en suivant les motions de censure insoumises, la crise politique basculerait alors en crise de régime, laissant aux forces politiques pour seule issue de secours que d’appeler à la démission du Président de la République, noeud désigné de toutes les crises.
Certes, Marine Le Pen accepter de rejoindre la danse. Seulement si c’est elle qui la mène. Pourtant son avance est fragile et pourrait bien éclater au prononcé du jugement qui aura lieu dans quelques semaines. Elle pourrait aussi s’amenuiser si le Parti Socialiste venait à valider le gouvernement Bayrou, empêchant la cheffe de file de disposer “d’un pouvoir” de censure suffisant. Et une cheffe d’opposition qui ne peut plu peser dans le jeu est forcément affaiblie. Ça, Emmanuel Macron l’a bien compris, et le Nouveau Front Populaire aussi. Signe, une fois de plus, de l’interdépendance des acteurs réunis dans cette tourmente politique, embarqués malgré eux dans une valse à trois temps.
Un président aux mains liées ?
Jusqu’où le déni ?
Danse ? Ne danse pas? Le Président oscille au gré des visites du soir et des rendez-vous du jour, moins amusants. La récente série d’articles co-écrite par Raphaëlle Bacqué, Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach pour Le Monde détaille l’isolement du chef d’État “acculé par la solitude du pouvoir” et rejeté par “des fidèles qui ne lui tiennent plus la main“. Au 7 juillet il le savait, en prononçant la dissolution de l’Assemblée, le centre du jeu politique basculerait dans des mains innocentes, celles des électeurs et électrices.
Vraiment innocentes? C’est peu dire que le Président avait eu vent que le scénario d’une nouvelle élection présageait une recomposition tripartite. “Nous avions prévenu” rapporte un député centriste. Si parmi les proches et les observateurs, beaucoup l’ont dépeint comme un “joueur de poker stratège dont la main n’est jamais perdue“, certains faisant même le récit qu’une campagne éclair “lui serait profitable“, force est de reconnaitre que la situation politique ne s’en est pas améliorée après la dissolution, ni pour lui, ni pour les autres formations politiques. Avant la dissolution, le timing politique n’était plus à son avantage. Il ne sera désormais à l’avantage de personne. Était-ce cela que le Président avait voulu provoquer ? Est-il crédible de penser qu’Emmanuel Macron ait pu volontairement provoquer cette situation d’instabilité politique dans un objectif stratégique ? Seule certitude, lui n’aime pas perdre. Quite à ce que ce soit le cas, tout bon joueur de poker voterait pour ne pas être le seul dans ce cas.
Un double visage
Interrogés au sujet du désordre actuel, les conseillers présidentiels ont affuté leur discours : la dissolution de juin a ouvert « l’an I de l’ère d’une culture de coalition à la française ». Dans les traditionnels voeux du Président annonçant l’année à venir, pas de grande nouvelle, mais une reconnaissance de faute, le chef de l’État ayant jugé que la dissolution avait été porteuse davantage de “divisions que de solutions“, produisant “plus d’instabilité que de sérénité“. Une décision “précipitée” mais appuyée par un esprit de “bonne foi” à en croire le conseiller en communication de l’Élysée, Jonathan Guémas.
Frappé par un éclair de “lucidité” et “d’humilité” d’après les oppositions, le Président de la République a présenté une autre issue à la crise qui traverse le pays en assurant aux français qu’ils seraient amenés à “trancher” sur des “sujets déterminants” en 2025. Il a également pris soin de déléguer à son ancien Premier ministre, Gabriel Attal, devenu chef du parti présidentiel EPR (Ensemble pour la République), la lourde tâche de bâtir des compromis à l’Assemblée pour faire advenir le vote du Budget. Les mains quelque peu liées, et l’humeur résignée, le chef de l’État en appelle désormais à la responsabilité des parlementaires, après avoir concentré le pouvoir à l’Élysée depuis 2017. « Insaisissable », « imprévisible » sont parmi les termes qui définissent la personnalité du président dans les différentes études qualitatives conduites depuis la dissolution. Cette impopularité intérieure durable s’ajoute aux nombreux désaveux qui s’accumulent ces dernières semaines à l’international, où la France vient notamment d’être expulsée du Sénégal et du Togo, alliés historiques de la relation franco-africaine post-décolonisation. Des contrariétés en cascade qui contribuent à affaiblir un président menacé.
“Une certaine idée de la politique aurait conduit Emmanuel Macron a exprimé les regrets qui s’imposent” estime un conseiller en communication, pour se refaire une image et préparer la fin d’un mandat qualifié “d’interminable” par les oppositions. Pour l’heure, une forme de déni s’est installée dans les rangs présidentiels. “La dissolution ? Un jour, on verra que c’était un coup de maître“, croit le chef de l’État selon les échanges rapportés par les trois journalistes du Monde. “Sa responsabilité dans la chute du Premier Ministre, trois mois après sa nomination ? Nulle“. Une démission ? En mars 2019, Emmanuel Macron avait longuement disserté sur les crises démocratiques et les circonstances dans lesquelles, selon lui, un Président de la République devrait s’en aller : « Il ne devrait pas pouvoir rester s’il avait un vrai désaveu en termes de majorité, en tout cas c’est l’idée que je m’en fais. » prédiquait-il devant un groupe d’intellectuels français. “La veste doublée de vison” avait inventé Serge Gainsbourg pour se justifier de l’avoir retournée.
Une affaire de culture politique
“Quand on est aux manettes, il faut une distance, des moments de secret” pense Emmanuel Macron. Mais l’époque appelle aujourd’hui à davantage de transparence, surtout lorsque l’on traverse une crise démocratique nourrie par le souci de représentation. “Le lot de tous les présidents” rétorque un conseiller proche du premier cercle. Mais construite telle quelle, la tradition politique française apparait bien incommodée au compromis entre des forces historiquement opposées. Aucun des trois blocs n’ayant clairement exprimé le souhait de partager le pouvoir au sein d’une coalition, ce sont toutes les formations qui se retroussent sur elles-mêmes. “La faute à un système médiatique qui pousse à l’invective” pour certains, à la pudeur d’âme ou d’idéologie pour d’autres, ou au déclassement français ou au « jusqu’au-boutisme » de certains, qui souhaitent rester accrochés aux lumières de la scène politique.
In fine, cela importe peu tant le résultat présage de risque pour une société qui ignore ses échéances politiques. “L’heure est à la bifurcation” réclament les oppositions. Et si la dissolution semblait une occasion de rouvrir un dialogue politique, de repenser un système démocratique essoufflé en outrepassants les frontières partisanes, pour l’heure les blocs s’emmurent. Dans une certaine forme d’humanité, de répulsion semblable à celle que connaissent les hommes, les responsables politiques se replient sur leurs idéologies et leurs croyances. Faire le pas vers l’autre, apprendre à rogner de soi. Mais la vie politique, comme celle de tous les jours, est bercée d’espoirs si évidents que les réalités paraissent souvent décevantes.