Trump se rêve en ogre d’une Europe affaiblie

Au jour un de la nouvelle administration américaine, l’Union européenne apparait diminuée pour résister à la charge commerciale annoncée par le président Trump. Mais la relation historique qui lie les deux continents semble davantage tenir de l’interdépendance que de la domination de l’un sur l’autre, contrairement aux croyances du leader américain. L’Oncle Sam, pensant pouvoir soumettre l’Europe sans conséquence, pourrait bien avoir eu les yeux plus gros que le ventre en lorgnant sur le vieux continent.

Une guerre commerciale avec l’Europe : défavorable pour tous ?

Le reproche initial formulé par Trump à destination des européens tient sur une seule crispation : la trop faible contribution de l’Union européenne aux programmes de défense militaire garantis par les États-Unis. Dès son retour au pouvoir, le locataire de la Maison Blanche a réclamé des économies européennes qu’elles rehaussent leur budget militaire au dessus de la barre des 5% de leur PIB, sans quoi il envisagerait un désengagement américain de l’OTAN. Fort de ses capacités de négociation face à une Commission européenne acquise, l’homme d’affaires entend profiter de la faiblesse politique de ses alliés pour faire avaler des contrats prospères à Bruxelles en revendant son matériel militaire. “Achète moi des avions et je continuerai à te tendre un parapluie” propose Trump. Dans les faits, le retour enthousiaste de la politique MAGA (Make America Great Again) pour laquelle l’homme de 79 ans a été réélu, pourrait couter cher avant et surtout au contribuable des 50 États. D’abord, parce qu’une augmentation des taxes sur les marchandises européennes se répercuterait directement sur le prix d’achat des consommateurs américains, alors même que Trump a promis de réduire l’inflation qui touche déjà les foyers modestes et pauvres du pays. Ces contritions monétaires imposées par Washington pour sanctionner les européens pourrait en réalité agir comme un boomerang, fragilisant grandement l’équilibre des intérêts et des balances commerciales pour les deux parties.

D’autant qu’à la différence du système français, les affaires politiques et économiques américaines ne sont pas concentrées. La répartition des pouvoirs se déploie sur trois pôles distincts : l’économique, la présidence et le stratégique, partagé entre le Pentagone et le Congrès, chargés des politiques publiques à long terme. Au long terme, le Sénat, par le passé contrarié par des politiques présidentielles trop abusives, a déjà soutenu des procédures de destitution et de comparution dans l’histoire récente. Ces puissants bureaux et commissions qui jonchent la Chambre des Représentants vont donc suivre de très près les orientations stratégiques prises par Trump, particulièrement à l’égard de l’Europe. Au-delà d’un certain seuil, les décisions du nouveau président pourraient alors rapidement susciter la colère de l’intelligentsia à Washington.

La question du conflit ukrainien suspendue

Ces calculs en rationalité se présenteront également aux nouvelles équipes de la Maison Blanche s’agissant de la guerre en Ukraine. La question s’est même mue en équation pour Trump, qui promettait initialement de mettre fin à la guerre dès son arrivée, et qui pourrait finalement décider de jouer la montre en retardant les négociations diplomatiques avec le Kremlin. Car la cessation du conflit russo-ukrainien signifierait une nette diminution des exportations d’armes américaines, d’où l’intérêt pour Trump d’imposer à l’Europe des ventes d’armement massives. Le président américain pourrait toutefois trouver son avantage en promettant des discussions rapides, tout en maintenant la cadence des ventes de contrats d’armement aux Pays-Bas ou à la Pologne, qui craignent la proximité avec la Russie. D’autant que le nouvel occupant de la Maison Blanche compte évincer les dirigeants européens des négociations, pour résoudre le conflit russo-ukrainien en face à face avec Poutine. Une décision qui aurait pour effet de détériorer davantage la relation avec ses alliés historiques. L’opération semble aussi délicate à mener pour la nouvelle administration américaine que décisive pour l’avenir des partenaires européens. D’autant que cet appétit américain semble s’étendre sur tous les domaines. Les alliés du vieux continent derniers auront en effet à dealer avec l’opposition féroce du néo-fonctionnaire de la gouvernance économique américaine et nouvel ami du président Trump, Elon Musk. Reconverti en « combattant politique » depuis que la Commission a imposé sa réforme “Digital Act” aux plateformes numériques, le patron de Tesla entend bien résister à l’assaut législatif européen qui atteindra bientôt les règles de modération du réseau social « X » qu’il dirige.

US-UE : domination ou interdépendance ?

Image conceptuelle représentant la guerre économique entre les États-Unis, la Chine et l’Union européenne. Akarat Phasura.

Pour les européens comme pour les citoyens états-uniens, tout reposera au final sur la finesse de la taxation imposée par l’administration Trump, qui se filera au compte goutte sur certains types de produits et dans certains proportions. Depuis son retour aux manettes, le président républicain multiplie les menaces de taxation (20% sur le Canada, 10% sur la France, 50% sur le Mexique), sans se hâter à la décision. Les entreprises américaines et européennes, comme les dirigeants politiques concernés, sont donc priées de patienter jusqu’à nouvel ordre.

In fine, la politique d’austérité promise par le 47ème président des États-Unis aux européens pourrait ne jamais avoir lieu. Car si l’Union européenne est aujourd’hui excédentaire de 150 milliards sur la balance commerciale avec les États-Unis (l’UE exportant annuellement davantage que les américains), ces derniers peuvent se targuer d’un excédant budgétaire de plus de 100 milliards sur la vente de services par rapport à Bruxelles. In fine, le solde des deux est donc très faible. Dans un élan de lucidité, Trump pourrait raviser ses intentions et épargner ses alliés historiques. D’autant que « la situation géopolitique est largement à l’avantage des américains en ayant les européens sous leurs ailes, prédit le professeur Christian Saint Étienne, ils y gagnent en influence géostratégique“. Dans l’équilibre des relations internationales, “l’Europe, c’est aussi 27 voix qui votent avec les US à l’ONU. (…) Si certains partenaires européens se mettent à voter avec la Chine ou la Russie, notamment à l’OMC, alors le “Sud global” deviendra juste le conflit du monde contre les États-Unis” présage-t-il. Une hypothèse qui présage les conséquences instables d’une querelle diplomatique et commerciale entre deux blocs historiquement dépendants, surtout à cet instant de l’histoire du monde contemporain qui voit renaître la fracture Nord-Sud. Or, Trump aura besoin de soutiens occidentaux pour maintenir sa domination sur l’échiquier international face à la Chine, ennemi juré des américains dans la bataille pour la domination mondiale.

Au sein de l’UE, des intérêts divergents pour un échec commun

Esther Snippe

“L’appétit vient en mangeant” dit le proverbe. Et les américains ont entamé leur buffet sur le dos des divergences européennes, particulièrement celles qui minent la relation franco-allemande. D’abord et avant tout parce que les contextes politiques internes sont à la peine, forçant les deux nations à se recroqueviller sur leurs intérêts propres. En effet, la France couve une crise de régime après la nomination de 4 premiers ministres en moins d’un an, et l’Allemagne a vu sa coalition exploser en vol, accélérant la chute du chancelier Olaf Scholz. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche impose donc un défi de taille à des alliés dispersés, particulièrement dans certains secteurs comme l’automobile, l’intelligence artificielle, la politique extérieure ou les gestions migratoires. L’Allemagne, comme l’Italie ou la Hongrie, particulièrement dépendants de la relation américaine, pourraient bloquer toute démarche européenne en s’opposant à l’adoption de mesures de contorsions à l’encontre de Washington. Car pour voter des sanctions et impulser une réaction à l’offensive américaine, il sera nécessaire d’obtenir l’unanimité dans la riposte. Pour l’heure, les discussions patinent et divisent le camp de l’Europe au moment où Donald Tusk, premier ministre polonais, et Emmanuel Macron, ont tous deux appelé à la construction d’un « front de défense unitaire ».

Plus que de simples dissensions, le malheur européen constitue une faiblesse bienvenue pour les américains dans la mise en place de leur stratégie offensive. Trump compte sur l’apparente désunion des dirigeants du vieux continent pour en affaiblir les intérêts. “Ce serait bien d’éviter la guerre commerciale, prévient Arnaud Aymé, spécialiste des transports pour un cabinet de conseil français, nous avons pour l’heure une dépendance aux technologies américaines pour prospérer (…), particulièrement sur les véhicules électriques.”. Ainsi, le projet européen de développement d’une ligne de production de pièces électroniques et informatiques revêt désormais un intérêt vital pour garantir l’autonomie et la pérénnité écologique, au moment où l’Europe engage des politiques publiques vers un horizon zéro carbone en 2050. Dans le scénario d’un rapport de force installé, Trump pourrait donc aller jusqu’à déclarer un embargo sur les puces produites par le groupe américain NVIDIA, qui alimente très largement les constructeurs du vieux continent parmi qui Mercedes, Volvo, Tesla ou Land Rover… Une hypothèse qui doit inviter les alliés à repenser leur stratégie face au néo-impérialisme trumpiste avide de satisfactions immédiates et de victoires clinquantes.

Une réponse coordonnée de l’Europe : poison pour Trump ?

En attendant de recevoir le coup, l’Europe patiente et oppose la voie diplomatique. Plusieurs dirigeants européens comptent “répondre” aux menaces américaines via l’Organisation Mondiale du Commerce, laquelle permet de contester l’imposition de droits de douane. Mais le président américain rêve de débrancher cette autorité de régulation, et les tentatives de pression exercées par les organisations internationales pourraient rapidement se révéler infructueuses. Cet aveu d’impuissance du droit international pourrait même profiter au patriarche médiatique pour étendre ses gloires face à un ordre mondial soumis. Au premier jour de son mandat, Trump a d’ores et déjà acté par décret la sortie des États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé. Le consortium politique devra toutefois convaincre l’ancien homme d’affaires de l’intérêt majeur de maintenir une relation stable avec ses partenaires, sans quoi plusieurs d’entre-elles pourraient se tourner vers le marché chinois pour se fournir en ressources et en matières premières, particulièrement s’agissant des composants électroniques.

La stratégie de Trump, qui visait donc initialement à faire contribuer davantage le bloc européen, pourrait in fine conduire les alliés tout droit dans les bras de Pékin. Dans cette perspective, les États-Unis perdraient beaucoup à se distancer du marché européen qui représente 18% du PIB mondial. Si gain il y’avait pour l’administration américaine à imposer des droits de douane, il ne serait donc que de court terme. Sur le plan géostratégique, la fin de la relation spéciale qui lie le bloc occidental depuis l’après guerre enverrait un signal de faiblesse clair au reste du monde, favorisant un rapprochement sino-européen.

Dans le cas où ils apparaîtraient unis autour de mesures de rétorsions sur les GAFAM et les produits américains importés, le rapport de force pourrait s’inverser en faveur des européens. En brandissant la menace d’un pivot vers l’Asie, les forces européennes disposent d’un levier d’action perfide. Pour émerger, de telles mesures coercitives impliqueront un sursaut de la décision européenne, « une prise de conscience urgente et immédiate » prédit l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, qui évoque la nécessité de faire face aux « deux grands chiens loups des relations internationales que sont les superpuissances américaines et chinoises ». L’Europe, qui ne se bat pas pour la domination mondiale, doit toutefois conscientiser que cette lutte au sommet va bientôt la concerner tout particulièrement, car elle demeure le seul ensemble constitué encore riche. “Nous sommes la grosse dinde bien grasse sur la table” traduit Christian Saint-Étienne.

Face à l’ogre, l’envahisseur ou le grand méchant loup, la littérature européenne nous a doté de petites figures rusées et ingénieuses dont il conviendrait aujourd’hui de s’inspirer pour déjouer l’appétit d’un Trump avide de succès. In fine, le rapport de force imposé par le président américain met l’Union européenne face à une seule question : faut-il entrer en conflit avec Washington ou tenter de l’amadouer ? Au devant de l’appétit d’un ogre, les issues sont maigres. Se sacrifier pour en rassasier la faim ou détourner son attention pour l’attirer vers d’autres sources de satiété, il faudra trancher…

T

Rédacteur de contenus pour l'Équinoxe Journal

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