Au jour un de la nouvelle administration américaine, l’Union européenne apparait diminuée pour résister à la charge commerciale annoncée par le président Donald Trump. Mais l’interdépendance entre les deux alliés historiques est plus profondément inscrite que ce que croit le nouveau leader du monde libre qui pourrait bien avoir eu les yeux plus gros que le ventre en lorgnant sur le vieux continent.
Une guerre commerciale in fine défavorable aux américains?
Le reproche initial formulé par Trump à destination des européens tient sur une seule crispation : la trop faible contribution de l’Union européenne aux programmes de défense militaire garantis par les États-Unis. L’homme d’affaires et président réelu a réclamé des économies européennes qu’elles rehaussent leur budget militaire au dessus de la barre des 5% de leur PIB, sans quoi il envisagerait de couper les vannes de l’OTAN. Fort de ses capacités de négociation face à une Commission européenne acquise, le président républicain entend profiter de la faiblesse politique de ses alliés pour revendre du matériel militaire tamponné USA et faire avaler des contrats prospères à Bruxelles. Dans les faits, le retour enthousiaste de la politique MAGA (Make America Great Again), qui vise à ne prioriser que l’intérêt américain, pourrait couter cher en premier lieu au contribuable des 50 États. D’abord, parce qu’une augmentation des taxes sur les marchandises européennes se répercuterait directement sur le prix d’achat des consommateurs américains, alors même que Trump a promis de réduire l’inflation qui touche déjà les foyers modestes et pauvres du pays. Ces contritions monétaires imposées par Washington pour sanctionner les européens pourrait en réalité agir comme un boomerang, fragilisant grandement l’équilibre des intérêts et des balances commerciales pour les deux parties.
De plus, si en France la haute administration occupe les grands postes économiques, la politique américaine s’appuie quant à elle sur trois pôles de pouvoirs distincts : l’économique, la présidence et le stratégique, partagé entre le Pentagone et le Congrès, chargés des politiques publiques à long terme. Un rôle qu’ils prennent très à cœur et qui a conduit le pouvoir législatif américain à soutenir des procédures de destitution et de comparution par le passé. Ainsi, les puissantes commissions qui nichent la Chambre des Représentants et le Sénat vont suivre de près les orientations stratégiques prises par Trump, notamment à l’égard de l’Europe. Si elles se trouvaient en incompatibilité avec les plans fixés par l’intelligentsia américaine, les décisions du nouveau président pourraient alors rapidement susciter la colère des contre-pouvoirs à Washington.
La question du conflit ukrainien en suspend
Ce calcul en rationalité se présentera également aux nouvelles équipes de la Maison Blanche s’agissant de la guerre en Ukraine. La question s’est même mue en équation pour Trump, qui promettait initialement de mettre fin à la guerre dès son arrivée, et qui pourrait finalement décider de jouer la montre en retardant les négociations diplomatiques avec le Kremlin. Car la cessation du conflit russo-ukrainien signifierait également l’arrêt des exportations d’armes américaines. Or, Donald Trump pourrait trouver son avantage en promettant des discussions rapides, tout en maintenant la cadence des ventes de contrats d’armement aux Pays-Bas ou à la Pologne, qui elles craignent la proximité russe. D’autant que le nouvel occupant de la Maison Blanche compte évincer les dirigeants européens en dialoguant en tête à tête avec Poutine, ce qui aurait pour effet de détériorer davantage la relation avec ses alliés historiques. Ainsi, l’opération apparaît comme un enjeu délicat et inattendu pour la nouvelle administration américaine, et pour l’avenir des partenaires en Europe. De plus, ces derniers devront dealer avec l’opposition féroce du néo-fonctionnaire de la gouvernance économique américaine, Elon Musk, reconverti en « combattant politique » depuis que la Commission a imposé sa réforme “Digital Act” aux plateformes numériques, parmi lesquelles le réseau social « X » qu’il dirige.
Une interdépendance stratégique

Pour les européens comme pour les citoyens états-uniens, tout reposera au final sur la finesse de la taxation imposée par l’administration Trump, qui se filera au compte goutte sur certains types de produits et dans certains proportions. Depuis son retour aux manettes, le président républicain multiplie les menaces de taxation (20% sur le Canada, 10% sur la France, 50% sur le Mexique), sans se hâter à la décision. Les entreprises américaines et européennes, comme les dirigeants politiques concernés, sont donc priées de patienter jusqu’à nouvel ordre.
In fine, la politique d’austérité promise par le 47ème président des États-Unis aux européens pourrait ne jamais avoir lieu. Car si l’Union européenne est aujourd’hui excédentaire de 150 milliards sur la balance commerciale avec les États-Unis (l’UE exportant annuellement davantage que les américains), ces derniers peuvent se targuer d’un excédant budgétaire de plus de 100 milliards sur la vente de services par rapport à Bruxelles. In fine, le solde des deux est donc très faible. Pas pas de quoi s’en prendre à un allié historique donc. D’autant que « la situation géopolitique est largement à l’avantage des américains en ayant les européens sous leurs ailes, prédit le professeur Christian Saint Étienne, ils y gagnent en influence géostratégique“. Dans l’équilibre des relations internationales, “l’Europe, c’est aussi 27 voix qui votent avec les US à l’ONU. (…) Si certains partenaires européens se mettent à voter avec la Chine ou la Russie, notamment à l’OMC, alors le “Sud global” deviendra juste le conflit du monde contre les États-Unis” prédit-il. Une hypothèse qui présage les conséquences instables d’une querelle diplomatique et commerciale entre deux blocs historiquement dépendants, surtout à cet instant de l’histoire du monde contemporain qui voit renaître la fracture Nord-Sud. Or, Trump aura besoin de soutiens occidentaux pour maintenir sa domination sur l’échiquier international face à un adversaire chinois rude, imperturbable et interconnecté.
Au sein de l’UE, des intérêts divergents pour un échec commun

Le couple franco-allemand est affaibli. D’abord et avant tout parce que les deux partenaires sont individuellement touchés : la France couve une crise de régime après la nomination de 4 premiers ministres en moins d’un an, et l’Allemagne a vu sa coalition exploser en vol, accélérant la chute du chancelier Olaf Scholz. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche impose donc un défi de taille pour des alliés dispersés, particulièrement dans certains secteurs comme l’automobile, l’intelligence artificielle ou les politiques migratoires. L’Allemagne, comme l’Italie ou la Hongrie, pourraient achever le sort de l’Union en bloquant l’adoption de certaines mesures de contorsions prises contre les américains. Car pour voter des sanctions et impulser de grandes orientations, il sera nécessaire de réunir un consensus entre différents partenaires. Pour l’heure, les intérets divergents risquent de scinder l’Europe au moment où Donald Tusk, premier ministre polonais, et Emmanuel Macron, président français, ont tous deux appelé à la construction d’un « front de défense unitaire » pour contrer le projet américain d’affaiblissement de l’UE.
D’autant que ce malheur européen semble être une porte d’entrée idéale dans la stratégie offensive menée par Trump, qui compte sur l’apparente désunion des dirigeants du vieux continent pour affaiblir les intérêts de l’Union. “Ce serait bien d’éviter la guerre commerciale, prévient Arnaud Aymé, spécialiste des transports pour un cabinet de conseil français, nous avons pour l’heure une dépendance aux technologies américaines pour prospérer (…), particulièrement sur les véhicules électriques.”. Ainsi, le développement d’une ligne autonome de production de pièces électroniques et informatiques revêt désormais un intérêt vital pour garantir l’indépendance de l’alliance européenne, au moment où celle-ci tente de promouvoir des politiques publiques décarbonées. Dans le scénario d’un rapport de force installé, Trump pourrait aller jusqu’à déclarer un embargo sur les puces produites par le groupe américain NVIDIA, qui alimente très largement les constructeurs européens parmi lesquels Mercedes, Volvo, Jaguar, BYD, Tesla, Land Rover… Une hypothèse qui doit inviter les alliés à repenser une stratégie commune face au néo-impérialisme trumpiste avide de satisfactions immédiates et de résultats bien polis.
Une réponse coordonnée de l’Europe : rempart à l’appétit américain ?
En attendant le choc, l’Europe patiente, comme toujours, et oppose la voie diplomatique. Plusieurs dirigeants européens comptent “répondre” aux menaces américaines en utilisant la voie de l’Organisation Mondiale du Commerce, laquelle permet de contester des droits de douane injustement imposés par une administration. Néanmoins, le président américain rêve de débrancher cette autorité de régulation. Les tentatives de pression exercées par les organisations internationales pourraient donc se révéler infructueuses, permettant même au patriarche médiatique élu d’étendre ses gloires face à un droit international impuissant. Au premier jour de son mandat, ce dernier a déjà signé par décret la sortie des États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé. Un signe avant coureur de ce qui pourrait suivre ? Le consortium politique devra toutefois tenter de convaincre l’ancien homme d’affaires de l’intérêt majeur de maintenir une relation stable avec ses partenaires, sans quoi plusieurs d’entre-elles, dont de nombreux alliés européens, pourraient se tourner vers le marché chinois pour se fournir en composants électroniques et en matières premières.
La stratégie de Trump, qui visait donc initialement à faire contribuer davantage le bloc européen, pourrait in fine conduire les alliés tout droit dans les bras de Pékin. Et face à leur grand ennemi commercial et militaire, les États-Unis perdraient beaucoup à se distancer du marché européen, lequel représente toujours 18% du PIB mondial. Si gain il y’avait pour l’administration américaine, il ne serait donc que de court terme. Sur le plan géostratégique, la fin de la relation spéciale qui lie le bloc occidental renverrait un signal de faiblesse au reste du monde, favorisant un rapprochement sino-européen.

Ainsi, si les membres de l’Union Européenne apparaissent unis, notamment autour de mesures de rétorsions sur les GAFAM et les produits américains importés, le rapport de force pourrait être à nouveau défavorable pour les américains. En opposant l’idée d’un pivot vers l’Asie, les forces européennes ont un levier d’action perfide sur son allié américain. Toutefois, de telles mesures coercitives impliquent un sursaut de la décision européenne, « une prise de conscience urgente et immédiate » indique Dominique de Villepin, pour faire face aux deux grands chiens loups des relations internationales que sont les superpuissances américaines et chinoises. L’Europe, qui ne se bat pas pour la domination mondiale, doit maintenant faire un effort pour comprendre que cette lutte au sommet va bientôt la concerner tout particulièrement, car elle demeure le seul ensemble constitué encore riche. “Nous sommes la grosse dinde bien grasse sur la table” traduit Christian Saint-Étienne.
Alors, face à la figure de l’envahisseur, de l’ogre, ou encore du loup, les personnages façonnés par les auteurs européens depuis des siècles ont tout à tour multiplié les stratégies, démêler les querelles et user de stratégie, à l’image de l’intelligent Petit Poucet ou de l’éternel Petit Chaperon rouge. Mais face au temps qui se gâte, laquelle adopter ? Le rapport de force imposé par Trump met l’Union européenne face à une seule question : faut-il entrer en conflit avec la nouvelle administration américaine ou faut-il tenter de l’amadouer ? Car au devant de l’appétit d’un ogre, les solutions sont maigres. Ou il faut en rassasier la faim par l’auto-sacrifice, ou il faut en détourner l’attention pour l’éloigner vers d’autres sources de satiété.