La Chine en embuscade sur les ressources minières et les terres rares

Dans un communiqué discret diffusé ce jeudi 9 octobre, Pékin a détaillé la riposte qu’elle envisage face à l’intention de l’administration américaine d’imposer des droits de douane de 100 % sur les produits chinois. Le géant asiatique menace de soumettre toute exportation intégrant des matières rares extraites sur son territoire à l’obtention d’une autorisation préalable. À moins d’un mois d’une rencontre au sommet avec Donald Trump pour tenter de sceller un accord commercial, cette annonce s’inscrit dans une stratégie plus large de Xi Jinping qui vise à consolider un contrôle sur les ressources essentielles aux technologies de pointe et renforcer sa position dans la chaîne mondiale des semi-conducteurs. En parallèle, le pays poursuit l’autonomisation de son appareil productif tout en cherchant à capter l’attention des jeunesses occidentales, de plus en plus dépendantes aux outils numériques d’origine chinoise.

Qui contrôle l’eau contrôle tout ce qui dépend d’elle

Mayor Tortoise John, Rango (2011)

Un avertissement clair adressé aux leaders occidentaux

Le président américain et le président chinois à la base aérienne de Gimhae, en Corée du Sud, le 30 octobre 2025. (Andrew Caballero-Reynolds/AFP)

« Nous ne sommes plus dans une guerre commerciale, nous sommes entrés dans une guerre de matière » traduit un spécialiste du sujet sur la plateforme X. Par un simple décret intitulé “Mise en oeuvre d’un contrôle des exportations sur les terres rares apparentées à l’étranger” et paru le 9 octobre 2025 sur le site du Ministère du Commerce chinois, Pékin a brandi son outil le plus puissant de coercition économique, en menaçant de mettre à exécution sa domination sur les terres rares nécessaires à la fabrication des ordinateurs portables et autres moteurs à réaction. En soufflant ce vent de panique, les autorités chinoises suscitaient l’agitation des marchés à quelques semaines d’une rencontre déterminante prévue avec Donald Trump.

Et pour cause. Cette annonce d’ampleur inédite impliquerait, si elle entrait en vigueur au 1er décembre 2025, que tout produit contenant plus de 0,1 % de matériaux de terres rares chinoises soit désormais approuvé par Pékin avant exportation. Une charge qui pourrait conduire à un dérèglement massif des marchés, à la faveur de l’économie chinoise qui assure plus de 70% de la production de ces matières et détient 90% de la capacité de raffinage et de transformation indispensables à leur utilisation industrielle. Qu’il soit manufacturé dans une entreprise européenne ou américaine, tout produit contenant une matière première extraite en Chine serait concerné et soumis au droit de véto des autorités, y compris sur la vente ou les finalités de l’usage. Une décision qui s’apparenterait à “une prise d’étranglement sur toutes les usines de semi-conducteurs, centres de données d’IA, entrepreneurs de défense et fabricants de véhicules électriques sur terre” traduit un spécialiste des matières premières en Asie.

Si l’Europe et les États-Unis auraient la possibilité théorique de rebâtir de nouvelles chaines d’approvisionnement pour contourner cette mesure, une telle alternative pourrait n’être effective que dans une décennie. Un temps que ne possèdent pas les sociétés occidentales dépendantes des exportations numériques et technologiques chinoises. Au jeu du rapport de puissance, c’est à dire en cas de conflit ouvert sur les matières rares, la Chine se trouverait en capacité de tenir plus longtemps sans les puces américaines, que les États-Unis de tenir sans les ressources minières chinoises. Selon plusieurs analystes, les nouvelles mesures de contrôle des exportations de terres rares prises par Pékin visent donc à tordre le bras des américains, pour les contraindre à lever leurs propres restrictions sur la vente de puces informatiques de pointe à la Chine et obtenir un accord favorable. Un jeu à double tranchant initié par Donald Trump, qui pourrait bien avoir perdu au change en tentant de faire plier les diplomates rouges.

Il est temps de se réindustrialiser comme si nos vies en dépendaient. Parce que la Chine, elle, ne s’en prive pas” résume le politiste américain Rush Doshi. Toutefois, cet avertissement adressé par la Chine aux puissances occidentales ne devrait pas avoir de conséquence immédiate. La charge invoquée par Pékin vise essentiellement à faire la démonstration du pouvoir de nuisance dont disposent les autorités, capables de soumettre les appareils productions de la planète par l’émission d’un simple décret. Une preuve, s’il en est, de la puissance de l’économie du Milieu. En adoptant une attitude plus offensive, Pékin quitte peu à peu sa posture d’ouverture en direction des sociétés du Nord pour adopter un langage correspondant à sa position hégémonique sur les composants électroniques et les matières premières.

La stratégie de Pékin vise une domination à long terme

Xi Jinping, lors de l’ouverture du 20e congrès du PCC à Pékin, le 16 octobre 2022 (AFP)

Au sujet de la stratégie chinoise sur les matières rares, un intervenant résume : « En contrôlant la racine, elle s’assure que l’arbre entier lui appartienne ». En mettant la main sur « le plancher du monde », la République Populaire de Chine avance ses pions sur l’échiquier des relations internationales, se préparant à incarner une position de quasi-monopole sur l’exportation de ces matières devenues indispensables à la production de tout objet électronique ou technologique, comme le gallium, le néodyme, le dysprosium ou le graphite. Des termes chimiques qui ne dépassent pas encore les cercles spécialisés, mais qui pourraient bientôt émerger dans le débat public tant les enjeux sont vitaux pour nos sociétés connectées. En brandissant cette menace, Pékin fait fléchir ses rivaux et poursuit l’ambition de dépasser la puissance américaine au rang des nations économiques et militaires. Être en capacité de restreindre l’accès aux produits qui composent l’essentiel des activités humaines post-modernes, parmi lesquelles les services de transport, médicaux et de communication, voilà une carte qui s’avère être précieuse dans l’ordre mélien sur lequel tourne l’axe des relations internationales. Les batteries et les puces électroniques utilisées dans les véhicules électriques, les appareils médicaux de première nécessité ou les composants électroniques intégrés aux systèmes de défense pourraient être parmi les premières cibles. Un tel pouvoir est susceptible d’octroyer aux dirigeants chinois un droit de regard effectif sur l’utilisation finale des systèmes électroniques à travers le monde, notamment dans le domaine militaro-industriel. Une perspective noire qui, si elle venait à se confirmer, se traduirait par un droit de vie ou de mort de la Chine sur les industries du vieux continent, et assurément sur les capacités de souveraineté des nations européennes qui dépendent d’elles.

Dans l’ordre des relations internationales, Pékin semble donc avoir intégré la bascule de la géographie du pouvoir économique, désormais fondée sur le contrôle des chaînes d’approvisionnement plutôt que sur la seule production industrielle. Une stratégie d’expansion à grande échelle poursuivie par les autorités chinoises qui financent à tour de bras de nombreuses infrastructures portuaires, des barrages hydrauliques, rachetant tous azimuts concessions minières africaines et autres dettes publiques d’États d’Amerique latine en difficulté. Illustration en République démocratique du Congo, où la Chine a déjà pris le contrôle de 70% de la production de cobalt via des entreprises d’État. Descendants directs des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road initiative), ces investissements extérieurs visent à sécuriser les approvisionnements stratégiques et à étendre l’influence politique et économique de Pékin dans un contexte de compétition accrue.

Xi Jinping rencontré, lundi 2 septembre 2025, Félix Tshisekedi, son homologue de la République démocratique du Congo.
Xinhua via AFP

En échange d’infrastructures routières, hydrauliques ou médicales, plusieurs pays du continent africain ont donc concédé aux stratèges chinois plusieurs centaines de terrains miniers depuis le début de la décennie. Plus elle parviendra à réduire sa dépendance aux importations brutes, plus la Chine s’assurera un flux constant de matières semi-transformées vitales. Telle est sa stratégie. De telles proportions d’investissement ne traduisent pas simplement d’une volonté de déploiement économique comme c’était le cas jusqu’alors, mais visent en réalité à enraciner une dépendance durable au partenaire chinois. Xi Jinping ne se contente plus d’exploiter ses propres réserves, et fait le choix de financer, de diversifier et de sécuriser des gisements stratégiques à travers le Sud global, tissant une toile minérale mondiale qui élargit considérablement son influence industrielle et géopolitique.

En plaçant les entreprises privées de production et de conception sous la tutelle de l’État, l’appareil chinois s’assure d’une efficacité redoutable de son outil industriel, aligné au cordeau sur la politique décidée par Pékin. Un atout qui pourrait s’avérer déterminant dans la course aux technologies de pointe : « Au sujet des minerais, la Chine a pensé en ingénieur : concevoir le système, bâtir les raffineries, sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Portée par une vision de long terme, elle a transformé les minéraux critiques en souveraineté industrielle et technologique » résument la sociologue Marta Rivera et l’ingénieur minier Eduardo Zamanillo. (“L’industrie minière est morte. Vive la géopolitique minière“, octobre 2025).

Les montagnes de la région du Kachin au Myanmar sont riches en minerais précieux, mais aussi en dysprosium et en terbium, deux terres rares très convoitées. PHOTO : © Ta Mwe/Sacca/REDUX-REA

Lignes de production autonomes et domination cognitive

Cette stratégie de monopole sur les terres rares porte surtout la marque d’une ambition plus large de prospérité et de développement du modèle chinois à travers le monde. Pour parvenir à ses fins, la République populaire initiait dès 2015 l’automatisation de ses chaines de production, en portant l’espoir de couvrir 70% de ses besoins industriels d’ici 2030. Le déploiement de milliers de “dark factories”, ou “usines noires”, à travers le pays a fait entré l’industrie chinoise dans une nouvelle ère de production ininterrompue. Plus de quatre millions de robots sont déjà à la tâche dans les usines du territoire, grâce à la mise en service d’AGV (Automated Guided Vehicles), de bras articulés et de jumeaux numérique chargés de simuler l’activité de l’usine en temps réel pour y détecter les failles. Si ces usines intelligentes progressent en Europe, elles restent bien moindres que celles implantées dans les provinces chinoises, comme à Dongguan, ancien coeur industriel des ateliers textiles de l’Empire. Grâce à des systèmes d’automatisation récursifs, la Chine s’apprête même à franchir une nouvelle étape dans l’autonomisation de son appareil de production : des robots fabriquent désormais d’autres robots, qui se déploient ensuite dans plusieurs usines, donnant naissance à de véritables boucles de production autonomes. Autrement dit, “des systèmes sans travailleurs créent d’autres systèmes sans travailleurs” écrit Steve Hou pour Bloomberg.

Dark factory autonome en Chine. Images : Reddit Weibo reprises par News.com

Toutefois, en tablant sur une approche hybride, la Chine ne souhaite pas automatiser l’ensemble de son industrie. L’utilisation des robots serait conditionnée aux seules tâches répétitives, et la main d’oeuvre humaine employée à la supervision, l’innovation, et le contrôle qualité. En clair, des tâches manuelles et contraignantes déléguées aux machines, pour mieux confier les tâches créatives et de conception aux personnels qualifiés. Ce double mouvement, dans la matière comme dans la connaissance, dessine une nouvelle frontière dans l’histoire industrielle moderne.

D’autant que derrière cette compétition industrielle, Pékin prépare une autre bataille : celle de l’attention. Alors que l’État chinois encadre de plus en plus strictement les contenus accessibles à sa propre jeunesse via les réseaux sociaux, les autorités ayant renforcé la réglementation des créateurs en ligne de la plateforme Douyin (version chinoise de TikTok), exigeant notamment des qualifications académiques pour s’exprimer sur des domaines scientifiques ou techniques, la version occidentale de la plateforme est surchargée de contenus divertissants, viraux ou impertinents. Si cette différence flagrante d’usage est multifactorielle, elle nourrit une interrogation logique : la Chine protègerait-elle la formation intellectuelle de sa jeunesse, tout en exposant les consommateurs européens et américains à une économie de la distraction ?

Dans un contexte de concurrence mondiale pour l’innovation, et alors que les premières études scientifiques soulignent que les conséquences de ces flux continus d’images réduisent la capacité d’attention et la mémorisation à long terme, certains y voient une nouvelle forme d’influence. Le contrôle des flux cognitifs, nouvelle arme qui pourrait intégrer le tableau des menaces, au même titre que les flux commerciaux et technologiques qui font d’ores et déjà l’objet de rivalités très fortes.

À l’heure où Pékin sécurise ses approvisionnements, exerce sa mainmise sur les ressources minières du globe et structure son espace numérique, tandis que l’Occident peine à réguler le sien, la question de la dépendance et de souveraineté technologique et cognitive devient, tant bien que mal, un enjeu géopolitique à part entière.

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Rédacteur de contenus pour l'Équinoxe Journal

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