Ce que décèle celui qui observe : vertige dans l’oeil du pouvoir

Critiques et apports du spectacle “Je m’en vais mais l’État demeure” mis en scène par Hugues Duchêne

« On ne se doute pas de quoi sont capables ceux qui observent, ils sont parfois bien plus déterminés que ceux qui gesticulent. »

Comme tout droit venue d’un autre monde, cette saga politique imaginée par Hugues Duchêne et ses comédiens retrace les basculements médiatiques et politiques de 2017 à nos jours à travers cinq épisodes.

Rendez-vous est donné vers 14h, un beau samedi de mars 2022, aux portes de la Scène Nationale d’Équinoxe pour assister à ce tournant attendu d’une durée annoncée d’environ quatre heures. C’est à cet instant, alors que le soleil étale son long sur le parvis du théâtre, que l’idée de s’y enfermer, loin de la lumière, me parait soudainement être une action absurde, à moins que… À moins que la lumière ne vienne de l’intérieur ?

Photo souvenir d’un milieu méconnu

Véritable aimant intellectuel, le propos de cette pièce semble s’attacher de toutes ses forces à notre curiosité, éclairant scène après scène les intentions brûlantes de son auteur. Hugues Duchêne pose ainsi les bases de son récit dans un décor sobre, limpide, comme si l’attention du spectateur se voulait focaliser sur le fond, loin de l’œil du cyclone de la campagne présidentielle qui s’étend en des formes bien creuses. Sous nos pieds, à deux semaines du scrutin, se dévoile un paysage captivant, et ce notamment grâce à la projection d’images et de bandes sons capturés par l’auteur. S’il fallait être présent pour le croire, ce documentaire vivant souffle d’une voix universelle au public, vraisemblablement conquis par ce scénario prenant duquel découlent esprit et humour, malgré son ambition chronophage : car si le temps défile sur les montres, les heures ne se succèdent pas, elles se complètent. Le format proposé est innovant, celui d’une découpe : chaque année correspond à un épisode d’une heure, au sein duquel se confondent répliques acerbes et images douces. Les textes ne sont jamais loin de son récit personnel et familial, qui marque le point de départ de ces écritures depuis ses 18 ans. L’auteur parisien confie sa joie de pouvoir mêler l’intime à la folie du milieu : « Au fond, c’est ça qui est intéressant : c’est ce contraste entre l’ennui d’un diner en famille et l’activité volcanique d’une campagne. C’est surtout comment on raconte l’un à travers l’autre. ». Combinaison de beaucoup de culot et de moquerie, le metteur en scène et comédien s’affranchit des clés de la réussite pour enfoncer les portes du monde obscure de la politique française, au nez et à la barbe de tous. C’est d’autant plus une attraction quand on sait que l’intégralité du récit s’ancre dans le vécu. Ainsi, le spectacle trouve sa force dans ce qu’il nous évoque du monde gouvernant, de ses rouages, sorte de photo souvenir de ce milieu méconnu, bien que surmédiatisé.

De l’audace nait parfois l’excellence

Et si l’acidité d’Hugues Duchêne parvient à nous faire oublier le cours des choses, la scénographie joue également un rôle majeur dans le récit. Constamment en mouvement, les chaises et les visages changent de place, tour à tour, sorte de balai contemporain reflet du turn-over permanent du monde politique, et ce à travers de nombreux pays, du Liban aux États-Unis. La forme reste suffisamment subtile pour laisser entrevoir à qui le veut l’aspect engagé du texte. Car si le jeune auteur en vogue se marre à imaginer le centre-droit en pagaille, il n’en tire pas moins la révérence à la gauche qu’il critique de façon ferme et assumée, du député François Ruffin à l’ex-garde des Sceaux Christiane Taubira. Ainsi, les crises récentes – qu’elles soient sociales, sanitaires, politiques ou diplomatiques – instituent et fondent les échanges entre les brillants comédiens, tous issus de la Comédie Française, et amis du metteur en scène. Hugues Duchêne confie s’être parfois abstenu, au sujet du féminisme par exemple, devant la fronde de ses amis : « J’aurais voulu l’évoquer comme les autres sujets, mais tout le monde n’était pas d’accord, (…) j’ai décidé de ne pas en parler. ». De tout ce théâtre-documentaire, on ne retient rien d’autre que le plaisir de voir la sphère politique se réactualiser sous le jeu entrainé des 6 acteurs prometteurs qui l’accompagnent. D’un bien avisé partenariat acté en 2019 entre la Scène Nationale d’Équinoxe et le brillant metteur en scène, la représentation intégrale de « Je m’en vais mais l’État demeure » offre au public castelroussin les fruits d’une collaboration intense et nécessaire : celle d’un spectacle acide, drôle et définitivement éclaireur. Et advienne que pourra.

Écriture, conception et mise en scène : Hugues Duchêne
Avec : Juliette Damy, Vanessa Bile-Audouard, Théo Comby-Lemaître,
Hugues Duchêne, Marianna Granci, Laurent Robert, Gabriel Tur / Robin Goupil Vidéo : Pierre Martin
Régie : Scardo
Régisseur : Hugo Dardelet
Costumes : Julie Camus et Sophie Grosjean
Collaboration artistique : Gabriel Tur et Pierre Martin
Assistant à la mise en scène : Victor Guillemot
Production, diffusion : Léa Serror
Attaché de production : Mathis Leroux

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Rédacteur de contenus pour l'Équinoxe Journal

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