Il se pourrait que l’élection présidentielle américaine doive compter sur un acteur inattendu. La Cour Suprême, plus haute instance des États-Unis, devait statuer sur deux sujets impliquant directement l’ancien président Donald Trump concernant l’attribution d’une immunité présidentielle lorsqu’il était en poste et s’agissant des procédures initiées par les États du Maine et du Colorado rendant le candidat inéligible à l’élection. Quant à Joe Biden, le président en poste mène campagne. Mais son for intérieur semble lui faire défaut. Âgé de 81 ans, il “ne serait plus en capacité de gouverner” selon ses opposants politiques. Des confusions répétées apparues ces derniers mois font grand débat dans le pays et interrogent sur un possible retrait du président démocrate au profit de sa vice-présidente, Kamala Harris.

Deuxième article de la série «Élection présidentielle 2024» qui vise à décoder jusqu’en novembre les rouages de la campagne présidentielle américaine : son calendrier, ses enjeux, ses petites et grandes histoires.
Aujourd’hui, focus sur l’état de forme des deux candidats pressentis pour l’élection du 5 novembre
Trump, simple “citizen » face à 3 femmes juges
La personnalité de Trump à l’épreuve de l’entonnoir judiciaire
Jusqu’alors, l’ancien président adoptait la stratégie de l’évitement. Il avait travaillé à devenir cet objet brillant, centre des attentions, lueur parmi les désespoirs d’une société américaine craquelée. Depuis qu’il est acculé par la Justice, l’humain Trump, le simple justiciable, aurait tant aimé devenir “the fish-Trump ». Méticuleusement, il avait paré ses écailles de promesses, draguant dans les meetings l’éblouissement de la Grande Amérique, conspuant ses adversaires.

À neuf mois du scrutin, les démêlés judiciaires du milliardaire américain lui font obstacle dans la course présidentielle. Dans le camp du candidat, “on espère que l’orage tombe après l’élection” selon une source au Washington Post. En attendant, la méthode reste la même : ironiser et décrédibiliser les adversaires. Crier au complot lorsqu’il est accusé, appeler à la désobéissance civile lorsqu’il est arrêté en août 2023 pour soupçons d’ingérence dans l’élection de 2020 en Géorgie (État de l’est des États-Unis). En bafouant les règles internes de son parti, l’ex-président s’est mis à dos des cadres au sein de son propre camp. Trump a refusé de constituer un programme et a désavoué les débats de la primaire présidentielle face à ses concurrents en n’y participant pas. En bref, il force à l’évidence, faisant en sorte qu’il ne s’impose qu’un seul nom : le sien. Et il y était presque. Mais rattrapé par la Cour suprême, Trump a perdu de son visqueux, agrippé par la justice américaine.
Pas d’immunité pour l’ancien président
Après sa défaite à l’élection présidentielle de 2020, Trump et ses proches “orchestrent un coup d’État” selon les termes du New York Times. Le 6 janvier 2021, l’assaut du Capitole marque la fin de cette tentative d’insurrection contre le résultat Biden. Depuis, c’est une cascade de suites judiciaires pour le candidat républicain. L’ancien président est désormais impliqué dans 6 affaires, dont 4 qui devront être tranchées par le juge suprême. À l’occasion de l’une d’elles, la Cour devait étudier ce mardi 6 février la demande “d’immunité complète et totale” défendue par les avocats de Trump. Elle aurait notamment permis de le disculper des évènements du Capitole pour lequel il est mis en cause pour “insurrection”. Mais la demande a été rejetée. À l’annonce du verdict, l’ancien président étrille un “jugement destructeur pour le pays », lui qui promettait à l’audience le “chaos dans le pays” si une telle décision était rendue. En haut du prétoire, les juges Michelle Childs, Florence Pan et Karen Henderson, 3 femmes, dont 2 nommées par le président Joe Biden, ont donc officiellement confirmé la décision rendue précédemment par leur collègue Tanya Chutkan, soutenant la justiciabilité de “l’ancien président Trump, (re)devenu le citoyen Trump » selon leurs termes.
Le candidat à la présidence de 77 ans, désormais simple “citizen” se retrouve pour la première fois depuis longtemps aux pieds des remparts de la démocratie. “Toute immunité exécutive qui aurait pu le protéger pendant qu’il était président ne le protège plus contre ces poursuites” concluent-elles à l’issue d’une décision de 57 pages.

Après l’assaut du Capitole, Trump inéligible ?

© Samuel Corum pour l’AFP
“J’ai pensé que le 6 janvier 2021 avait été l’un des jours les plus sombres de l’histoire de notre nation, et que le président Trump le traitait comme une occasion de célébrer” – Sarah Matthews
Aux États-Unis, ce jour du 6 janvier 2021 a laissé des traces. Pour l’ancienne porte-parole de la Maison Blanche Sarah Matthews, les évènements qui ont conduit à l’assaut du Capitole ont marqué le dépassement d’une ligne rouge. Un faisceau d’indices permet aux constitutionnalistes américains de penser qu’il existe un lien de causalité direct entre les publications de Trump et les débordements qui ont conduit la foule à investir le bâtiment. Si sa culpabilité n’a pas encore été établie, la Cour suprême a tranché la première des deux questions qui lui étaient posées, rejetant à l’ex-président Trump toute immunité pour les actes qui lui sont reprochés dans l’exercice de son mandat.

Mais le juge suprême devait également statuer sur une seconde question, s’agissant des décisions rendues dans le Colorado et dans le Maine. Pour ces deux états démocrates, les agissements présumés de l’ancien président sont de nature à lui retirer son éligibilité. Fin décembre 2023, les gouverneurs du Colorado et du Maine se sont en effet opposés à ce que le bulletin Trump apparaisse dans leurs bureaux de vote. À l’appel de Donald Trump, la Cour suprême aura bientôt à statuer sur la validité de telles procédures. Le caractère largement inédit du dossier complique tout pronostic, mais beaucoup d’experts prêtent aux neuf juges la tentation de trouver une « échappatoire » pour maintenir le nom de Donald Trump sur les bulletins de vote sans s’aventurer sur le terrain miné de la qualification de ses actes pendant l’assaut du Capitole. “Dans une affaire aussi politiquement brûlante, la Cour veut apparaître le plus apolitique possible », explique Steven Schwinn, professeur de droit constitutionnel à l’Université de l’Illinois à Chicago.
Selon Shenna Bellows, secrétaire démocrate de l’État du Maine chargée de l’organisation des élections, Trump “n’est pas apte à la fonction de président” au titre du 14ème amendement de la Constitution, excluant de toute responsabilité politique les personnes s’étant livrées à des actes “d’insurrection“. “Je n’arrive pas à cette conclusion à la légère », a-t-elle confié dans ce document, estimant que l’assaut du Capitole a été commis “sur ordre, en toute connaissance et avec le soutien du président sortant ». Depuis, le principal intéressé a réagi : “Nous assistons en direct à une tentative de vol d’une élection et à la privation du droit de vote de l’électeur américain“. Pour Susan Collins, sénatrice républicaine du Maine et soutien du candidat Trump seuls “les électeurs du Maine devraient pouvoir décider de qui gagne l’élection, pas la secrétaire d’État” a t-elle fustigé. Certains de ses opposants démocrates ont exprimé leur opposition à une telle décision : “Nous sommes une nation de droits, et donc, tant qu’il n’est pas reconnu coupable, il devrait être autorisé dans le scrutin” selon Jared Golden, élu démocrate du Maine à la Chambre des représentants.
Biden fragilisé par des confusions à répétition

© Evan Vucci, AP
“Un homme âgé à la mauvaise mémoire »
Joe Biden est apparu en colère lors de sa dernière conférence de presse tenue le 9 février à la Maison Blanche. “Je suis un homme âgé et je sais ce que je fais, bon sang. Je suis président et j’ai remis ce pays sur pied” a t-il clamé en réaction aux invectives qui pointent son âge comme un obstacle à l’exercice de ses fonctions. En début de semaine, un rapport publié par le procureur républicain Robert Hur a en effet isolé les défaillances de mémoire du président. La justice a renoncé à le poursuivre en avançant notamment qu’un jury répugnerait à condamner un «homme âgé à la mauvaise mémoire». Désigné pour enquêter sur la présence de documents confidentiels au domicile de Joe Biden, ce procureur spécial n’a pas usé de pression judiciaire pour déstabiliser Biden, préférant dresser un portrait fragilisé du candidat à sa réélection. En exhibant sa clémence à l’occasion de ce rapport, il prend en pitié le président, lui faisant grâce de toute poursuite judiciaire.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, le président a très récemment commis face à la presse une erreur sur la nationalité du président égyptien, en le confondant avec le président du Mexique. De quoi nourrir les tracts des partisans républicains. Malgré des divergences internes, les membres du parti conservateur américain se sont alors empressés de réagir à l’unissons pour exiger la démission d’un “président inapte ».
À l’intérieur du camp démocrate, la question de la succession
“Les hommes mentent, pas les chiffres ». Et les sondages sont formels : le principal handicap de Joe Biden à sa réélection est son âge. Pour confier leur vote aux démocrates en 2024, certains américains, acquis ou indécis, espèrent secrètement que la course s’arrête pour le président de 81 ans. Dès lors, les doutes s’accumulent et gagnent désormais du terrain dans tout le pays. En pleine campagne présidentielle, sa vice-présidente Kamala Harris commencerait-elle à songer à une possible voie de sortie de crise.

Si les ambitieux ne lui prêtent pas mauvaise intention, la californienne de 59 ans a conscience qu’elle pourrait être désignée par la Constitution, ou par les évènements, en cas d’incapacité permanente de Joe Biden. « Je suis prête à servir mon pays. Il n’y a aucun doute là-dessus», a t-elle déclaré ce lundi 12 février 2024 à l’occasion d’un entretien accordé au Wall Street Journal. La vice-présidente démocrate l’assure, quiconque la voit à l’œuvre peut «en tirer la conclusion (qu’elle est) pleinement capable de diriger». Si ces propos ont été tenus antérieurement à la nouvelle bévue de Joe Biden, leur teneur laissent afficher une intention maîtrisée.
Toutefois, malgré sa position favorable en cas de succession, Kamala Harris joue loyal. Dès le lendemain de la publication du rapport du procureur, la vice présidente des États-Unis a croisé le fer en défendant avec véhémence le candidat Biden. Dans des termes forts, elle a dénoncé les «motivations politiques» du magistrat républicain, tout en “louant la manière dont Joe Biden gouverne“. Ainsi, la tempête gronde t-elle, pour l’instant le ciel est resté calme. Le sort de la vice-présidente, particulièrement populaire dans l’électorat démocrate, et celui de Joe Biden sont plus que jamais liés. Tous deux suspendus à l’état de forme d’un président fragile, candidat à une réélection qui porterait 86 ans son âge en fin de second mandat.
Crédits :
- Photo d’illustration : Patrick Chappatte
- Photos : Evan Vucci, La Compagnie des cartes, Samuel Corum, Bill Hennessy
Sources : Piotr Smolar, (Le Monde), France 24, Noémie Taylor-Rosner (Le Courrier International), L’Express, La Dépêche, Le Figaro