Un candidat face à Poutine : Boris Nadejdine véritable adversaire ou pantin du Kremlin ?

À Moscou, l’élection présidentielle russe prévue le 17 mars prochain ne fait pas de suspens. Pourtant, la Russie anti-guerre se rassemble autour d’un nouvel opposant. Pour certains, Boris Nadejdineest le seul moyen d’exprimer le désaccord profond” qu’ils ressentent à l’égard des actions du pouvoir en place. Pour la première fois depuis longtemps, des citoyens russes s’emparent de l’élection présidentielle et parviennent à réunir les 100.000 signatures nécessaires pour valider une candidature. Cet ancien astrophysicien reconvertit en homme politique porte la voix d’une masse silencieuse et inquiète : “Ce n’est pas moi que les gens viennent soutenir. C’est eux-mêmes, et leurs enfants“. Alors, quel crédit accordé à une personnalité qui semble libre de parole, impossible force d’opposition, dans un pays scellé par la peur de du pouvoir en place ?

Bref portrait et questions autour de la candidature d’un physicien devenu principal opposant à Vladimir Poutine

Une candidature pour défier Poutine dans les urnes ?

Qui est-il ?

Cet homme politique de 60 ans a d’abord été astrophysicien avant d’embrasser une carrière politique. En 1990, il entame son parcours en se faisant sobrement élire au Conseil municipal de Dolgoprudny, ville moyenne de la banlieue de Moscou. Il échoue ensuite à devenir député de l’Assemblée fédérale russe, la Douma. Toutefois, quelques années plus tard, il se fait une place dans l’entourage du vice premier Ministre russe Boris Nemtsov en tant que conseiller, lequel sera assassiné en 2015 quelques heures après avoir appelé à une marche du peuple russe pour s’opposer à la guerre en Ukraine. De fil en aiguille, il rompt les strates du pouvoir, finalement élu député de la Douma dans les années 2000, il se rapproche de l’actuel dirigeant russe Vladimir Poutine, dont il deviendra un proche jusqu’en 2003.

L’ancien scientifique n’est ni charismatique, ni fédérateur, à la différence des célèbres figures d’opposition russes, comme Alexey Navalny, toujours emprisonné en Russie pour s’être opposé à la politique du régime russe. Eux jouissent d’une popularité de rayonnement international, lui fait l’objet d’un cruel déficit d’attention médiatique. En bref, ici ou là, personne ne le connait encore : “Je n’ai pas le charisme de Boris Nemtsov ou d’Alexey Navalny. Je suis une personne sympathique et intelligente, mais je ne serai pas une figure de Che Guevara.” affirmait-il dernièrement aux journalistes de la Novaya Gazeta Europe. Lors des précédents scrutins, les candidats d’opposition à Vladimir Poutine n’ont guère obtenu plus de 2% des voix. Le sexagénaire, notamment connu pour avoir défendu plus de transparence dans les élections et référendums russes, devra donc tenter d’exister là où il n’y a pas de quoi, car en Fédération de Russie, “il n’est qu’un seul roi dans le royaume“. À peine sera t-il oublié juste après avoir fait entendre son écho ? Lui s’y refuse et espère porter un espoir de long terme, alors même que les projecteurs de la communauté internationale se resserrent sur l’élection russe du 17 mars.


Les files d’attente de “l’espoir”

Des personnes font la queue dans une cour de rue au siège de campagne du candidat du parti Initiative civile, Boris Nadejdine, pour signer leur soutien à ce dernier, le 21 janvier 2024. © Artem Priakhin

La protestation silencieuse est là. Boris Nadejdine s’est élancé, candidat tardif d’une élection jouée, sorte de cheveu sur une soupe froide, sans moyens financiers et sans mouvement populaire pour le soutenir, parvenant tout de même à créer l’engouement. En témoignent les “files d’attentes de l’espoir“, ces agrégats spontanés de citoyens russes, “âgés pour la plupart de 25 à 35 ans” selon lui, venus signer leur approbation à une candidature dissidente, en plein milieu de l’hiver russe.

Sous la neige et les -8 degrés qui suspendent les petites rues du centre ville de Moscou ce soir là, ils sont plusieurs centaines à faire la queue devant le siège de campagne de Boris Nadejdine, comme dans 75 autres bureaux installés partout sur le territoire. Dans l’une de ses files, une étudiante sibérienne explique son abnégation : “Le point principal de son programme, c’est l’arrêt de la guerre et franchement, c’est ce que tout le monde veut”. Le slogan de l’homme politique – “Poutine doit partir” – a visiblement aggloméré les espoirs de tout un chacun. Lana, présente dans une de ses files, ne se décourage pas du gel et réunit ses maigres espoirs pour apporter sa signature : “Même s’il ne peut pas participer, c’est le seul moyen d’exprimer notre désaccord de manière légale et sûre. Je préfère faire quelque chose, plutôt que nous restions à la maison à nous lamenter sur notre sort.”. À la sortie du bureau, certains crient à la “Russie libre“, applaudis par une vague d’électeurs impatients de faire entendre leur voix. Ailleurs dans le monde, l’enjeu s’est exporté à l’occasion de cet évènement, et notamment à Paris, d’où les ressortissants russes ont pu se prononcer en faveur de l’opposant Boris Nadejdine, comme ce 23 janvier dans un café de la capitale.

Des Russes résidant en France attendent pour signer en faveur de la candidature de Boris Nadejdine aux élections présidentielles russes, à Paris, le 23 janvier 2024. © Nikita Mouravieff

Un espoir fait de bois comme Pinocchio ?

Mais certains spécialistes du monde russe s’interrogent sur une possible instrumentalisation de cette candidature, intelligemment offerte en exutoire aux mécontents de la politique intérieure et surtout extérieure, dans ce pays où la simple critique pouvoir est passible de prison ferme. Dans le passé, plusieurs initiatives apparues comme personnelles étaient en réalité téléguidées par Moscou. Pour d’autres, notamment la jeunesse, la fin de “l’ère Poutine” est possible.

Un homme du système, devenu défenseur de “l’orphelin et la veuve”

Aux côtés des familles de combattants russes endeuillées, l’homme s’affiche en protecteur d’une partie de la société civile meurtrie par les guerres de territoire successives. Via son manifeste politique et le programme de son mouvement politique “Initiative civique, le candidat Nadejdine affirme sa volonté de renouer avec les autres puissances du monde occidental, et déclare vouloir mettre fin aux conflits de territoire qui “déchirent la Russie. Dans ses textes, il reconnait cependant son impuissance face à un système électoral scellé : « Je sais bien que ce sera dur de battre Poutine », admet t-il, tout en espérant qu’un score élevé à l’élection sonnerait « le début de la fin » de l’ère Poutine.

Un militant compte les signatures en faveur de Boris Nadejdine, candidat du Parti de l’initiative civique à l’élection présidentielle, à son siège de campagne, à Moscou, le 22 janvier 2024. © Alexander Nemenov / AFP

Pourtant, selon Aude Merlin, spécialiste des questions politiques en Russie, “Boris Nadejdine évolue de façon mouvante à l’intérieur du système politique russe depuis plusieurs décennies. Certes, l’homme fut un député d’opposition, “mais il a aussi participé, en 2015, aux primaires de Russie Unie, le parti au pouvoir”. Ainsi, selon la chercheuse, ce passif auprès des sphères du pouvoir en place justifierait le laisser-parler accordé à cette voix dissidente. Cela accréditerait selon elle la thèse d’une candidature orchestrée par le Kremlin : “À mes yeux, c’est ce qui explique le fait qu’il ait été épargné jusqu’à présent, malgré ses critiques frontales” conclut l’universitaire.


Quelle marge de manoeuvre ?

Le candidat surprise s’adresse à la population russe lors d’une interview télévisée en janvier 2024. © The Associated Press

Son objectif ? : « provoquer un deuxième tour face à Vladimir Poutine ». Mais d’ici là, la commission électorale devra se réunir le 10 février pour confirmer ou rejeter la candidature de ce “vieux routier de la politique russe” désireux de défier Vladimir Poutine à la présidentielle du 17 mars. Si les plans ne sont pour l’instant pas contrecarrés, il se pourrait que “l’espoir annoncé” ne passe pas le premier tamis procédural. Cependant, pour Vladimir Poutine, aucun intérêt à s’opposer à cette candidature. À contrario, l’image d’un président ouvert à la critique et à l’opposition lui serait préférable, d’autant qu’aucun suspens ne plane autour de sa réélection. Seul risque, l’emballement. Si jusqu’alors la candidature dissidente ne fait d’émoi que dans une faible proportion de la population russe, le Kremlin se méfie de l’engrenage qui ferait s’enrayer le discours soigneusement biberonné. En attendant, le chef du Kremlin « ne me considère pas comme une terrible menace », admet l’opposant. Une hypothèse que Moscou ne manque pas de confirmer, arguant ne même pas considérer le candidat “comme un concurrent ».


Crédits :

Photo d’illustration : Vera Savina (AFP) ; Alexander Nemenov, Artem Priakhin

Sources :

RTBF (Daphné Van Ossel), Rédaction infographie FranceInfo, Fabien Magnenou (France Télévisions), Le Parisien (Elise Do Marcolino), Le Monde (Benoît Vitkine), le Courrier International.

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Rédacteur de contenus pour l'Équinoxe Journal

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